Edward, qui n'avait pas encore eut cours ce matin, avait passé ces dernières heures dans sa minuscule chambre, assis sur une chaise dure et inconfortable, penché à son bureau sur une volumineuse pile de copies. Les premières minutes s'étaient bien déroulées jusqu'à ce que le surveillant général eut l'excellente idée, comme punition de faire faire des exercices de gymnastique aux élèves qui n'avaient pas voulut obéir. Il s'était donc mit à crier et à partir de ce moment là, Ed avait su qu'il était inutile de chercher à se concentrer.

Le jeune enseignant était donc sortit de sa chambre et s'était promené le long des couloirs. Les mains dans les poches et le pas enjoué, il eut vite fait le tour du pensionnat. Décidant qu'il était l'heure de prendre un peu le soleil, il sortit dans la cour de récréation où quelques élèves jouaient au foot. Les exercices de gymnastique du surveillant général avaient du prendre fin quelques instants plus tôt.

Edward leva alors ses yeux vers le faible soleil, caché de temps à autre par de volumineux nuages. Quel changement avec la Grèce, ce beau pays où il avait passé ces vacances. En cet instant il aurait tellement aimé y retourner. Mais bon, il était le nouveau professeur d'histoire et de géographie du pensionnat de Winchester, et même si les conditions de vie n'étaient pas si bonne, les enseignants étaient quand même bien payé pour ce qu'ils faisaient.

Retrouvant le sourire à cette idée, il fit quelques pas et remarqua alors une jeune fille, plongée dans son téléphone portable. Tiens... Lui qui croyait que ce genre d'objet était confisqué aux élèves dès leur arrivée à Winchester. Le professeur s'approcha donc doucement de la jeune fille, s'assit et fit semblant d'admirer le soleil. Celle-ci ne s'aperçut tout d'abord pas de sa présence, et lorsqu'elle l'aperçut enfin elle rangea illico-presto son engin. Edward sourit et se tourna vers l'élève.

- Vous n'êtes pas sans savoir, mademoiselle, que ces objets sont interdits au pensionnat.

Sa voix avait quelque chose de sévère. En vérité, Edward qui n'avait pas envie de réprimander cette fille qui, à ses yeux, n'avait rien fait de mal, espérait juste faire un peu d'humour.

- Cependant je dois dire que vous vous y prenez mal pour paraitre discrète. Si j'étais vous j'irais directement m'installer devant le bureau de Sir Horace...

Il lui adressa un sourire et se rapprocha d'elle.

- Au moins, vous voyez, lorsque moi je veux cacher mes smarties, je trouve des endroits plus calmes pour les cacher ; car bien que la soupe à l'ail du réfectoire soit délicieuse et qu'elle soit servie chaque soir, ce n'est pas assez nourrissant pour un gaillard comme moi.

La jeune fille sembla méfiante et demanda au professeur d'histoire et de géographie si cela cachait quelque chose. Celui-ci lui adressa un sourire et lui répondit calmement.

- Je suis là pour enseigner et transmettre ma passion. L'autorité à haute dose ce n'est pas ma tasse de thé, je laisse ça à Sir Horace ou à Drapeau... enfin au surveillant général...

Comparé à la majorité de ses collègues, c'était la première année de Ed au pensionnat. S'il avait accepté ce poste c'était parce que déjà c'était bien payé, et surtout parce qu'il avait toujours rêvé de devenir enseignant, et que se voir offrir un poste aussi prestigieux seulement quelques temps après avoir passé son agrégation d'histoire, c'était plutot inespéré.

- Vous semblez tenir beaucoup à votre téléphone... Ca semble être le seul moyen de communiquer avec l'extérieur n'est-ce-pas ?

Comme il comprenait Rachel. Lui aussi aurait aimé sortir un peu d'ici et retourner dans sa région pour revoir les parents et amis qu'il avait laissé derrière lui. Malheureusement c'était impossible, et en tant que nouvel arrivé il n'avait pas le droit à l'erreur. Sir Horace l'avait mis en garde : s'il ne faisait pas l'affaire il serait rapidement remercié.

Convaincu que s'il partait d'ici ce serait à cause du manque de nourriture et non de compétences, l'enseignant tira de la poche intérieure de sa veste deux barres chocolatées et en tendit une à l'élève.

- Tenez c'est pour vous. Régalez-vous, je crois qu'il reste de la soupe a l'ail pour ce soir.

Il donna la barre à Rachel et enleva le papier de la sienne. Quelques instants plus tard il dévorait sa première bouchée avec plaisir. C'était soit les kilos en trop, soit l'hospitalisation pour manque de vitamines.

Edward continua à manger sa barre chocolatée et eut un sourire.

- Je suis étonné que vous arriviez à capter quelque chose. Les murs de cet établissement sont tellement épais que même la dynamite n'en viendrait pas à bout. Moi lorsque j'ai allumé mon pc portable, j'avais beau essayé de me connecter, je n'ai jamais capté un seul réseau. J'ai du me faire une raison et j'ai fais retourné le pc chez moi. Je l'utiliserais pendant les grandes vacances.

Et oui, à Winchester, tout ce qui était nouvelle technologie n'était pas autorisée. Pourtant le jeune enseignant était convaincu que pour faire ses devoirs, c'était un merveilleux outil. A condition bien entendu de savoir l'utiliser à bon escient.

- Pourtant on aurait pu faire des choses amusantes si Sir Horace avait fait installé un réseau internet. J'ai enseigné dans un lycée à Oxford, en tant que remplaçant pendant deux mois, et je faisais la plupart de mes cours par video-projecteur. J'avais même autorisé mes élèves à prendre des notes sur leur ordinateur. Généralement, lorsqu'il s agit de travailler sur un pc, les élèves sont plus enthousiastes et obtiennent de meilleurs résultats.

Il termina sa barre chocolatée et jeta le papier dans la poubelle en face de lui.

- Surtout que cette année, Sir Horace a décidé de réintroduire les encriers et les plumes. Il parait qu'il s'est fait livrer plus de cinq-cents pot d'encre pour l'année scolaire.

En vérité, Ed ne voulait pas non plus annoncer qu'il avait bien du mal à écrire avec une plume. Pour lui qui avait toujours été habitué au confort d'écriture moderne, il allait déguster pour corriger une trentaine de copies en un temps record. Vive Winchester !

La conversation tourna ensuite autour du repas.

- Certains de mes collègues m'ont expliqué que la direction veut faire des économies sur les repas, alors tant qu'on ne finit pas tout, ils nous resserviront la soupe à l'ail au petit déjeuner, au déjeuner et au diner. Personnellement je n'ose plus approcher quelqu'un après avoir mangé cette affreuse soupe, et ce n'est pas avec l'espèce de pâte a dent mauve qu'ils nous fournissent qu'on aura une haleine fraiche.

Il fit une grimace et se promit lors de sa prochaine sortie de rapporter du dentifrice moderne. L'enseignant observa ensuite la jeune fille et d'un air paisible lui montra son sac de cours d'un signe de tête.

- Vous devriez aller rendre le téléphone à Sir Horace avant que le surveillant ne vous tombe dessus. Vous savez il n'a pas la réputation de faire dans la dentelle... et personnellement j'aime avoir des élèves entiers lorsque je fais mes cours.

Il avait simplement dit ça dans l'intérêt de la jeune fille. Ce n'était pas un ordre, ça n'en avait pas l'air. C'était simplement un conseil qui lui donnait le jeune enseignant, pour ne pas laisser à Drapeau l'occasion de donner de nouvelles punitions.

Edward écouta le jeune fille à propos des batailles d'encre et de l'insouciance visible du directeur du pensionnat.

- J'espère juste que mes élèves seront assez mâtures pour ne pas tomber dans ce genre de fantaisie... Si je dois perdre du temps à chaque cours d'histoire et de géographie à faire nettoyer la salle de cours, on aura pas finit le programme à temps, vous échouerez à vos examens et vous devrez passer une année supplémentaire dans ce pensionnat, ce que bien sur je ne souhaite pas.

En vérité Edward ne voulait pas avouer qu'il ne serait surement plus là l'année prochaine. Il avait demandé sa mutation dans le sud de l'Angleterre, pour se rapprocher de l'endroit où il était né. Winchester était certes, une aubaine dans sa jeune carrière, mais lorsqu'il voyait ses collègues, ternis par trente ans d'enseignement dans ce pensionnat, ça ne lui donnait pas tellement envie. Il préférait laisser sa place à quelqu'un qui s'accoutumerait plus facilement. Enfin, pour le moment personne n'était au courant, et à vrai dire il n'annoncerait pas son départ. Les élèves auraient la surprise à la rentrée.

Au moins, il n'aurait plus à manger cette horrible soupe à l'ail. D'ailleurs à ce propos, Rachel expliqua qu'elle pouvait aller la jeter dans les toilettes. Edward fit un légère grimace qui montra qu'il n'y croyait pas tellement.

- Oh j'en doute fort. D'après mes collègues, c'est le genre de nourriture qu'ils servent et resservent quotidiennement... alors la jeter dans les toilettes serait un crime, quand on sait que chaque jour des millions d'enfants meurent dans le monde...

Il baissa le regard sur le sol et écouta ensuite la jeune fille qui refusait de rendre son téléphone. L'enseignant soupira et l'observa d'un regard compréhensif.

- Vous savez, à cette heure-ci, Sir Horace doit déjà être au courant que vous êtes venu le reprendre. Il chargera monsieur Draper de vous le reprendre et vous infligera une sanction exemplaire. Vous vous rendez compte de ce que vous risquez ? Aller dérober quelque chose de confisqué, dans le bureau du directeur ? J'ai envie d'avoir une Rachel entière à mes cours... et non une jeune fille complètement anéantie par les lourdes punitions du surveillant général. C'est dans votre intérêt jeune fille...

Il n'y avait aucune once de menace dans sa voix. Il venait simplement de donner un conseil à Rachel qui pouvait choisir de le suivre et limiter les dégâts, ou au contraire n'en faire qu'à sa tête et s'exposer aux foudres du pensionnat de Winchester.

Edward observa la jeune fille en souriant.

- Si vous échouez à Winchester alors que des jeunes adolescents bien avant vous ont toujours eut leur examen... je ne sais pas si ça existe. Il faudra que je fasse une recherche dans les archives du pensionnat, enfin si Sir Horace veut bien me passer la clé, car rares sont les personnes qui y travaillent.

Bien entendu l'adolescente ne voulait pas rendre son téléphone portable. Le jeune enseignant n'avait pas du tout l'intention de l'obliger, ni même de la dénoncer, après tout le nouveau surveillant général avait montré depuis quelques jours qu'ils ne laissaient rien passer. Si Rachel voulait garder son téléphone, soit qu'elle le garde, mais elle ne pourrait pas en vouloir aux adultes de Winchester de ne pas l'avoir mise en garde contre les éventuelles punitions.

- Si vous êtes sûre de vous... Mais vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenu. S'il y a bien quelque chose à retenir ici, c'est que Don Drapier sait quasiment tout et voit tout. Enfin, c'est ce que l'on m'en a dit.

Il lui adressa un clin d'œil et consulta sa montre.

- Hélas, jeune fille, je vais devoir vous quitter. J'ai une réunion pédagogique dans la salle des professeurs dans quelques minutes, et je vois mal notre directeur suspendre la séance pour attendre sa dernière recrue. Je vous souhaite une agréable journée.

Il se leva, lui lança un dernier regard sympathique et s'en alla, d'un pas tranquille, les mains dans les poches, vers la salle des professeurs.

[FIN]